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En "Résonance"
Biennale de Lyon
Jean-Christophe De Clercq
"Conversations"
 

Cornélia Eichhorn / Marilena Pelosi / Chloé Poizat / Federica de Ruvo
Cornelia Eichhorn / Marilena Pelosi / Chloé Poizat / Federica de Ruvo
Une inquiétante étrangeté

L’inquiétante étrangeté sera cette sorte de l’effrayant qui se rattache
aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familières”

Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté, 1919

Texte : Anna REMUZON

Cet été, une “inquiétante étrangeté” s’invite chez Aponia et prend même une dimension collective au travers des œuvres de quatre artistes : Chloé Poizat, Cornelia Eichhorn, Federica de Ruvo et Marilena Pelosi… comme autant de définitions visuelles d’une même sensation. Car c’est bien la sensation du visiteur qui s’annonce primordiale… comme un titre annonciateur de l’exposition. Ce qui lie les artistes et les œuvres entre elles, c’est justement ce qu’elles vont provoquer… ce qu’elles vont susciter comme émotions.

L’inquiétant est-il plus étrange que l’étrange inquiétant ? C’est dans l'ambiguïté du concept comme celle de l'œuvre que s’enracinent l’émerveillement et le frisson. C’est ainsi qu’il faut aborder l’exposition… en se glissant dans l’interstice entre ces deux mots… à la rencontre de choses qui paraissent étrangement familières mais, en même temps, inconnues ou différentes… voire inquiétantes. La sensation se rapproche de cette personne croisée dans la rue… celle qui “ressemble” mais vis-à-vis de laquelle s’instaure un inconfort transitoire… celui de ne plus savoir qui elle est ou les circonstances d’une rencontre passée… “d’où se connaît-on”? Or, questionner cette “autre” identité, cette autre chose… entraîne un questionnement de sa propre identité… si familière et si étrange.

Le point commun des quatre artistes, c’est de présenter une forme particulière d’humanité… et souvent de féminité. La représentation du corps et sa mise en situation dans l’espace devient le support de cette sensation de familiarité qui confine à l’inquiétante étrangeté. Qu’il s’agisse de dessins, de sculptures ou même de tenture monumentale… il y a plusieurs manières de se reconnaître dans ces œuvres… pas seulement superficiellement ou physiquement… mais au plus profond de soi.

Chez Chloé Poizat tout d’abord, il y a dans ses figures comme dans ses paysages quelque chose d’onirique et de mystique… presque fantomatique. Du noir et blanc en passant par un camaïeu de gris… émergent des formes anthropomorphiques… et le ressenti d’une présence. Cette paréidolie culmine avec ses gisantes aux allures tronquées ou primitives qui évoquent, par la silhouette statique, l’empreinte du corps allongé… d’un sommeil léger au repos éternel. Les pigments qui se dispersent à l’intérieur réintroduisent un mouvement par capillarité, comme un fluide de vie… ou seulement son souvenir. Le corps apparaît comme une limite physique à l’intérieur de laquelle foisonne tout un univers bouillonnant et mystérieux. Il faut se pencher sur ce corps, comme un test de Rorschach, pour en déduire les traits d’une personnalité… celle qui gît et celle qui regarde.

Avec Cornelia Eichhorn, les corps en papier ou en volume ont des allures mutantes et surréalistes… ils se forment, se déforment, s’entrechoquent, se liquéfient et s’évaporent comme des ectoplasmes ou des bulles de savon. L'intrication des corps et des membres… leur interpénétration accentue l'ambiguïté du sujet et cette étrange humanité qui devient viscérale et brutale en son for intérieur. Le papier se découpe comme la chair se transperce… le tout dans une juxtaposition d'aplats de couleurs… comme des corps étrangers. Il y a une forme d’aléa biologique… microscopique et gigantesque… d’interdépendance de chaque élément comme dans une société humaine… hybride… entre articulation et désarticulation.

Quant à Federica de Ruvo, le foisonnement sensuel et narratif de ses sculptures tient à une forme de mythologie universelle. Hymne à l’Amour et à la vie, elle mêle l’humain au règne végétal et animal. Mère-nature, déesse ou Amazone… elle joue sur la figure et l’iconographie féminine… à la fois contemporaine et historique… fragile et solide. Entre la relique et l’offrande, elle transforme le visiteur en aventurier… un Indiana Jones explorant les ruines d’un temple d’une culture oubliée… peut-être même disparue… dont on imagine les coutumes et les rites sacrés. Elle illustre cette étrange familiarité… cette sensation de bien connaître ce qui nous est pourtant encore inconnu.

Enfin, Marilena Pelosi propose des scènes de vie collective. A la mécanique du stylo à bille répond la mécanique des corps et des actions. La ligne, l’encre, la couleur, relient les figures entre elles et leur environnement… dans une forme de répétition inexorable et parfois cruelle. Le corps… encore plus celui de la femme… est mis à nu et captif d’agissements et d’attentes extérieurs. Dès lors, la frontière entre sujet et objet s’estompe et l’individu avec elle. Bien que les figures soient distinctes, elles suggèrent une nature interchangeable et à la fois inchangeable… les rouages bien huilés d’un ordre social préétabli… des rouages parmi tant d’autres. Il devient alors tentant de rompre ce lien, de se libérer pour prendre part à l’humanité… car à trop s’en éloigner, passivement, chacun peut incarner lui-même une inquiétante étrangeté.

 

 

 

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Vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h (en Période d'exposition)
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Entrée libre et gratuite