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En "Résonance"
Biennale de Lyon
Jean-Christophe De Clercq
"Conversations"
 

Lucy Watts
Lucy Watts, Dominique Forest
Etrangement exotique

Un vent de spontanéisme ou de stylisme autour du geste brut souffle-t-il sur le dessin contemporain ? On peut se poser la question à l’aune des productions graphiques de toutes natures et sur tous supports (en réalité très souvent sur des feuilles de papier A4 ordinaires) qui couvrent les cimaises des galeries depuis au moins cinq ans et qui, sous couvert de sujets légers, surréalistes, historiques ou empruntés à la BD et au dessin de presse peuvent donner le sentiment d’une déliquescence de la notion d’étude voire d’observation.
Le centre Aponia a déjà interpellé en ce sens le public de Villiers-sur-Marne en exposant les travaux de Marlène Mocquet, Sophie Gaucher, Alain Barret, Michèle Antoine ou Mehdi Hercberg, tous artistes « questionneurs de ces questions »…
Il se trouve que la plupart du temps ces dessins sont produits par des artistes jeunes.
Ils sont aussi pour beaucoup encore étudiants en Arts. Les techniques qu’ils utilisent rappellent celles des publications éphémères imprimées à la photocopieuse et des fanzines publiés à compte d’auteur…
Il se trouve encore que chaque auteur opère dans des formats variés et adopte des manières différentes de revisiter sa propre production en accentuant ses perspectives de transgressions libertaires sur des « feuilles libres», des carnets improbables faits de piles et de morceaux de papiers « disponibles ».
Il se trouve aussi que leurs créateurs font mine de ne pas savoir bien reproduire les formes ou font semblant de dessiner comme « des enfants »…
Il se trouve enfin que la plupart du temps, ces dessins fonctionnent comme des « courts métrages » ou de courts storytelling…
En exposant aujourd’hui les dessins actuels de Dominique Forest et de Lucy Watts, Aponia ne compte pas repasser le film de débats incisifs déjà anciens et atomisés sur le sujet, mais souhaite refonder certaines des interrogations toujours légitimes et sans réponses que posent des créations qui, dans un premier temps, ont pu se nourrir de techniques préconçues comme de styles arbitraires. Ces dessins qui semblent vagues et imprécis, qui peuvent paraître maladroits et « bruts de décoffrage », se risquant dans le « mal fait » évoluent pourtant au risque d’une nouveauté artistique qui n’en est pas vraiment une (donc un peu amnésique), quitte à satisfaire peut-être une sorte de « jeunisme » de la pratique et de l’image.
La façon dont Dominique Forest et Lucy Watts s’aventurent dans l’art de vaguement dessiner conduit, qu’on le veuille ou non, à un retour sur les problèmes de conception que pose un projet de dessin qui vit de ne pas sembler élaboré.
On présume donc plus un savoir-jouer avec les référents de l’« à peu près » qu’un savoir-faire.
Fort de son passage par l’Ecole Supérieure d’Arts de Cergy, Dominique Forest pratique le dessin en dilettante cultivé, ce qui l’amène à prendre le risque de produire d’un seul jet et au fur et à mesure un nombre incalculable d’images sur les sujets les plus anodins.
Installé confortablement près d’une pile de feuilles, il amoncelle donc des éléments subjectifs d’inspiration brute en vues rapides, parfois complétées de textes brefs et souvent décalés, et des annotations transgressives par rapport aux images, des commentaires autoréflexifs… Il n’a, dit-il, aucun programme, aucune préférence technique, seule compte la proximité d’outils variés ou « possibles »… On mesure ici son insistance à penser sa pratique à l’aune de ses points de suspension.
S’ensuivent des idées de dessins baroques mêlant des formes ou des taches à des compositions hétéroclites de mots vite écrits, des sortes d’esquisses grossièrement notées au feutre, à l’encre de Chine, au stylo à bille ou par collage, parfois accompagnées de peinture, de temps à autre des récits en images « faciles » : historiettes absurdes et souvent dérisoires, teintées de gags visuels, badinant comme des « vannes », des scénographies graphiques engagées sous l’aspect de traces ou de saisies partielles, des griffures arbitraires, des silhouettes aux contours qui apparaissent « traînants », des assemblages compulsifs à la maigreur artistique provocatrice.
On (re)pense à Max Ernst et aux provocations surréalistes, à Robert Filliou et aux créateurs néo dadaïstes, à Robert Combas et à la Figuration libre… Dominique Forest cite de son côté Gaston Chaissac, Dubuffet, Pif Gadjet, les comic-strips…
On accepte de croire à des liens presque logiques tant les hybridations s’y perçoivent, agissantes en tout ou partie. Il a justement été écrit que « le monde de Dominique Forest agit comme un réservoir de signes visuels en même temps qu’il l'expose au regard collectif. »
Mais l’artiste ne fait pas qu’exposer ses arrangements avec la spontanéité du geste de conception. La production apparaît comme l’expression d’envies constamment insatisfaites, insatisfaisantes et inqualifiables. Avec sa logorrhée productiviste et les aspects « j’m’en foutistes » de ses dessins, Dominique Forest engage sa production autobiographique dans une démarche paradoxalement conceptuelle. Les sujets fonctionnent ou procèdent d’une mise à distance de leur aspect, par son arbitraire radical : l’esthétisation du langage graphique direct est à son comble. Ce que l’artiste semble rechercher…et vouloir jouer, consiste à instrumentaliser la légèreté des histoires dont il s’inspire, poussant à l’extrême l’origine de ce style « vite fait ». Dominique Forest ne peut ou ne désire s’en défaire, sa pratique n’apparaît pas seulement comme sa marque subjective, mais aussi comme une empreinte paradoxalement conceptuelle....
En amont des avis sur son travail, l’artiste, en critique sarcastique de l’esthétique d’art fabrique à n’en pas douter des petites bombes mouillées. Toujours cet humour tragique de l’expression visuelle dont il ne se dépare pas. A bon entendeur…
Bien qu’apparenté au dessin spontané, l’esprit des dessins de Lucy Watts brille de considérations et de références autres que celles d’un style définitif. A regarder ses dessins affûtés comme une mise en joue crée du sens, on présume une pensée de l’expression plastique à distance des emportements et des facilités d’un dessin purement
instinctif. Il se trouve en effet que, se passionnant d’actualité à l’instar d’artistes ayant travaillé sur la sémiologie et l’iconicité des images d’actualité, Lucy Watts organise arbitrairement des détournements ou des retournements fictifs, déroute le cours de faits réels, bref, met en oeuvre sans se cacher un art personnel de la représentation au risque d’une apparence de compétence artistique...
Chaque élément converse les multiples éditions qu’elle produit témoignent des transgressions autant par le suivi régulier très personnel des faits qu’elle évoque, que par l’ironie de leur mise en page, ou par les qualités crûment aussi précises qu’approximatives des productions susceptibles d’en rendre compte. Très techniques, ses savoirs faire servent d’appui à son goût prononcé des paradoxes, à sa proximité avec l’art des antiphrases plastiques (ses façons de s’appuyer sur une apparente maladresse formelle pour réinterpréter les graphiques jusqu’au non sens sont au sommet de la virtuosité clownesque). Ses biaisements entre plasticité et écriture pure, entre scénarisation et improvisation, entre ce qui est dit et ce qui est écrit, ce qui est décrit et ce qu’on peut suspecter du sens sont autant de sujets d’attention au dessin qui peut suivre.
Par sa conscience à la fois subjective et documentée des mécanismes du dessin d’idée, Lucy Watts fait un chemin de création sur la soudaineté plastique de l’image.
Son intérêt ne serait-il pas celui de l’évocation d’un thème quel qu’il soit ? Son dessin, au lieu de paraître élaboré, s’exprime en effet davantage depuis ses réserves implicites de sens que par son esthétique ouvertement spontanée, chaque sujet interprété s’incarnant dans des aperçus hors limites qui le subvertissent et le polluent.
A bien regarder chaque création, on note que Lucy Watts élabore rigoureusement la réflexivité de ses images par un vocabulaire plastique assumé. Comme de bien entendu, l’artiste n’en manie cependant pas moins le sérieux et la distance critique en refaisant ses dessins autant de fois que l’exige son sens de l’exactitude des formes et de la composition graphique et plastique. Mais tout cela a aussi valeur d’illusion et de paradoxe. Lucy Watts croque dans l’actualité autant qu’elle « surnote » esthétiquement ses prises en renvoyant chaque expression visuelle à des images imprévisibles par une sorte de « non dessin ».
Toujours ce sens de l’antiphrase créative…
Alain Bouaziz, avril 2014

APONIA
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