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En "Résonance"
Biennale de Lyon
Jean-Christophe De Clercq
"Conversations"
 

Olivier Alibert
Olivier Alibert
Black matérial

De même qu’une apparence d’ensemble structure une composition imaginaire, les sculptures d’Olivier Alibert, disséminées et baignant dans une atmosphère nocturne, donnent le sentiment d’une exposition sans limite.
N’était-ce la présence insistante du sol entièrement noir agissant comme un socle et un territoire, l’impression qu’il s’agit d’un paysage nocturne s’impose. Surgissantes ou émergentes, les formes semblent inconnues, occupant momentanément l’espace comme si elles étaient autant de lieux imaginaires. Arrivons-nous dans une ville ou un site indéterminé ? Dans un pur réflexe d’auteur et de créateur libre, Olivier Alibert, habitant passager, distille ses flottements quant aux sources de son art, flottements dont il précise qu’il s’agit davantage de recherches plastiques, et qu’avant toute volonté de définir des formes, son travail est d’abord fondé sur des « préoccupations de sculpture ». On comprend dès lors qu’avec Black material intitulé volontairement flou, son oeuvre renvoie plus certainement à un oxymore de l’installation et d’une oeuvre in situ avec une réalisation « en soi ».
On songe tout de même que ces volumes nous rappellent des pièces déjà rencontrées ça et là, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’espace public. Ce sont des bornes de béton, des pylônes, des portiques aux usages variés, des constructions apparemment banales et des contextes dans lesquels l’architecture surprend par son minimalisme et
sa maigreur, voire une sorte d’inutilité esthétique. Intervenant comme arpenteur de l’espace urbain, Olivier Alibert sait qu’après avoir repéré ces objets et après les avoir déplacés et « repeints », il fait dévier notre regard, les rendant plus énigmatiques encore. Partant, ne peut-on imaginer que les objets urbains de Black material devenus oeuvres et ne servant désormais plus à rien, participent en creux d’une sorte d’embellissement subjectif et peut-être inconscient du quotidien ?
Dans leur enveloppe noire de rêve éveillé, ils disent directement et avec sobriété qu’ils sont ainsi des sculptures autonomes. On remarque en ce sens que des procédures instauratives reconnaissables aux rappels de techniques connues sur ce sujet témoignent d’un savoir approfondi d’Olivier Alibert dans les domaines de la statuaire autant que dans celui de la sculpture abstraite. Certaines oeuvres procèdent en effet par ajouts ou modifications de l’existant comme dans le modelage, d’autres par retrait, comme pour la taille directe. Autre process, les principes du collage et de l’assemblage ou de la fusion permettent à l’artiste de profiler ici un équilibre, là un chemin de traverse, ou de façon opportune un détournement poétique.
Au bout du compte, l’essentiel du travail initial propre à la sculpture se perçoit dans ses index que l’artiste mobilise afin que son art de prédilection puisse paraître aussi bien naturel que conceptuel et métaphorique.
L’installation brille d’une conversion des univers de la sculpture et de la peinture aussi radicale qu’inédite. Comme on le voit, et bien que l’artiste ne cherche pas à réduire ou à dissimuler l’usage de diverses nuances de noirs mates ou brillantes, (Olivier Alibert parle d’aspects différents du noir) Black material semble fait pour désincarner la sculpture par la couleur, au mérite de l’instauration d’une apparence picturale naturelle de
l’installation. Déhiscence dans la pratique plastique quand elle s’ouvre ? L’artiste, que je questionne en ce sens sur de possibles paradoxes dans sa production, évoque le passage furtif des arts les uns par les autres, le surgissement d’apparences pas toujours trompeuses quand la mise à distance et l’imbrication de perspectives tiennent lieu de paradigme de l’élaboration artistique. L’oxymoron de l’à côté évoqué en introduction permet dans
les faits à Olivier Alibert de signifier l’écart entre réalité et fiction : « Je suis toujours dans l’élaboration, j’essaie de créer un climat » lâche t-il.
Les variations lumineuses induites par les diverses sortes de noirs contribuent à cet office.
L’unité chromatique de l’installation permet donc à Olivier Alibert de maintenir, non sans risque, qu’il y a dans son travail (essentiellement) des préoccupations de sculpture.
Il est vrai que Black material est « composé de trois structures verticales en zig zag, d’une cloison percée de trous, d’un caisson assez bas avec une grille d’aération et une face supérieure inclinée. Juste à côté, concentrés en désordre sur le sol, différents objets… Au centre du dispositif la structure particulièrement épurée d’un bassin dont l’intérieur est recouvert de vernis laque noir…, l’installation se termine par deux socles géométriques réguliers de six côtés verticaux et surmontés de mâts de faible hauteur… »
Il y a aussi de la tactilité : « …l’utilisation de surfaces lisses ou rugueuses vient d’abord des matériaux utilisés » L’installation est dans son principe une oeuvre dans et avec l’espace. J’oppose à Olivier Alibert qu’il n’y a peut-être pas de contradiction absolue à concevoir qu’une oeuvre en trois dimensions puisse intégrer des effets empruntés à une autre discipline que la sculpture. Il n’est d’ailleurs pas le premier artiste à pratiquer l’hybridation plastique. Nous notons in fine que si les formes semblent ne rien représenter à proprement parler, hormis ce que dénotent les jeux créés par leurs origines foncières, le fait qu’elles soient soigneusement noircies ajoute au mystère de leur maigreur et favorise des impressions d’images symboliques.
Toutes choses égales, ces constructions plastiques parfaitement construites ont conservé leur aura particulière d’objets urbains, au risque de leurs proportions et de leurs présentations repensées et divergentes. De sorte que posé, placé, soulevé, ou étalé, chaque sujet se « volumise » et mute iconiquement en fonction des reliefs qu’il développe.
Sous leur voile noir général, les sculptures de l’ensemble deviennent les éléments sensibles d’une oeuvre picturale. Olivier Alibert unifie et met en scène un écart radical, comme une opposition peut rendre un rapprochement exclusivement sensible en électrisant l’écart entre ses termes. Avec Black material, le sol prend la place de la toile, sa surface s’étend comme un socle, les oeuvres occupent la place d'éléments d’un paysage, les reliefs donnent le sentiment d’incarner poétiquement des hauteurs chromatiques. Olivier Alibert et son projet Black material n’extériorisent t-ils pas ensemble la question métonymique et janusienne* de l’insertion du geste artistique dans le monde de l’imagination immédiate ?
Alain Bouaziz, décembre 2012


* Le Janus latin est le dieu qui préside à toute espèce de transition d'un état à un autre.
Il est généralement représenté sous l’aspect d’un personnage à deux visages accolés, l’un orienté vers la droite et l’autre vers la gauche.

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