
Du 25.10_23.11.25
Vernissage le 24 octobre à partir de 18h
Commissaire et scénographe / Alain-Christian Barret
Actuellement en résidence au centre d’art Aponia de Monastier-sur-Gazeille, je poursuis ma réflexion autour des réseaux corporels, les limites et les perméabilités « proposant une lecture du corps comme un espace d’interaction avec la globalité du vivant, une interface poreuse entre ce qui le constitue et ce qui l’entoure » (Laure Lamarre-Florès).
Les murs de la place des Chirouzes, sont recouverts d’une peau jaune vif. Il s’agit de la Xantheria Parietina. Ce thalle encroûtant nommé parmélie des murailles, est un ascomycète ; ces spores sont fabriqués au creux de ses apothécies concaves puis plates à maturité.
Cet archipel de Xanthorie lèche littéralement son support en sécrétant de puissants acides, faisant corps par un procédé de météorisation biologique. Elle dissout la roche sur laquelle elle se fixe par un phénomène de digestion qui vient la substanter en sels minéraux.
Longtemps associé aux végétaux, le lichen est une association entre un champignon, le mycobionte, qui offre protection et nutriment, et une algue, le photobionte, apportant énergie et glucide grâce à ses capacités photosynthétiques.
Évoquer les lichens c’est convoquer la notion de symbiose mutualiste commune à tous les vivants. Cette association à bénéfices réciproques implique nécessairement deux partenaires. Ils subissent une convergence évolutive qui dans le cas du lichen est une modification morphologique qui correspond à la structure fonctionnelle et morphologique d’une feuille.
Les symbioses mettent à mal un système héréditaire vertical, sexué et hiérarchique parce qu’elles fonctionnent sur une association polyphylétique qui constitue un assemblage d’individus excluant leur ancêtre le plus récent. Dans le cas de la xanthorie, elle s’associe à un thalle fruticuleux comme le Physcia pour permettre à ses spores de se fixer. Cette opportunité de changer de partenaire permet de s’adapter à d’autres milieux. À l’angle du mur de la place des Chirouze il y a un arbre couvert de ces deux lichens jaune et vert.
Les lichens par leur échelle et par leur présence millénaire sont des mutants invisibles. L’histologie, cette science qui étudie les tissus biologiques permet une traduction de ce qui nous échappe en proposant des images de ces organismes.
Ce projet détourne et procède par mixage pour aboutir à une confusion qui déjoue les limites entre l’humain et les autres vivants afin de permettre l’émergence de nouveaux récits de résistance face à aux épuisements.
La variété parietina contient de l’orseille, substance utilisée autrefois pour la teinture rouge et le pourpre. Après plusieurs tentatives d’extraction j’ai réussi à obtenir un rose. Il rejoint la gamme de ceux abordés dans mes travaux précédents comme des stéréotypes de la chair, de la peau.
ll me permettra de teinter les papiers utilisés pour la série Repérage.
Cette résidence se clôturera en octobre par une exposition et une production en risographie.
Je me souviens lorsque l’on traversait la forêt du Massacre à ski, ll y avait des lichens à profusion. Les arbres étaient recouverts d’Évernia prunasti. Ce lichen donne aux branches des aspects de dentelles d’un vert grisé proche du céladon.
On disait qu’ils étaient la nourriture préférée des rennes parqués non loin de là à proximité du centre Paul-Émile Victor.
Nadine Lahoz-Quilez
Restitution de Résidence / A partir du 24 octobre 2025
Texte : Anna Rémuzon, critique d'art
Alors que son omniprésence et sa permanence le confinent à l’inaperçu… quel est donc cet Organisme Vivant Non Identifié auquel l’artiste Nadine Lahoz-Quilez a consacré ses deux mois de résidence chez Aponia ? Comme l’artiste, il faut d’abord le chercher partout autour de nous… et peut-être le trouver sous son meilleur jour, camouflé sur le mur de la place des Chirouzes. Coïncidence étymologique ou botanique, c’est là que la Xanthoria parietina a élu domicile et revêt son plus beau jaune. Ceci n’est pas une plante !!! Ceci est l’un des multiples visages ancestraux du lichen. Tel un explorateur téméraire, il s’établit là où nulle plante n’est jamais allée. Il progresse lentement mais sûrement sur l’écorce, la terre, la roche ou le bitume… et bien d’autres substrats créés par l’homme. De symbiose en métamorphose, il en vient à révéler le secret de sa longévité : un échange mutuel et bienfaisant entre un champignon et une algue (ou une cyano-bactérie). Alors, le lichen devient métaphorique puisqu’il incarne une stratégie réussie d’adaptation séculaire… un modèle du vivre ensemble.
Aux confins des règnes du vivant, le lichen avait tout pour séduire l’artiste dont la pratique manifeste le lien entre l’espace et le corps et décloisonne les existences. Ainsi, elle fait émerger ce qui nous unie… une autre taxonomie qui s’exprime au travers de ses œuvres. Lors d’une résidence, l’atelier devient en quelque sorte un laboratoire d’expérimentation… rapprochant plus que jamais l'esprit artistique de l’esprit scientifique. Ici, l’artiste sort de sa zone de confort, prend des risques et repousse les limites de la connaissance… de soi et du monde. Les idées prennent la forme de tests, d’investigations et de spéculations qui, dans l’alchimie des formes et des couleurs, dessinent ensemble le chemin vers de nouvelles communications. Nadine Lahoz-Quilez ne s’y est pas trompée… en “touchant” au lichen, elle a ouvert la porte sur une nouvelle dimension qui autorise autant la continuité que la rupture avec l’existant… d’inextricables réseaux en nous et autour de nous.
Après l’observation minutieuse et la recherche approfondie, vient le temps des dessins qui se déclinent comme autant de portraits du lichen. Il faut le représenter dans les moindres détails mais aussi le laisser s’exprimer… en extraire l’orseille qui vient, tantôt, rehausser le papier de sa teinte pourpre-rosée comme la chair.
L’artiste devient alchimiste et entre progressivement dans l’intimité biologique de la matière, tandis que le lichen devient geste. L’artiste nous invite ainsi à faire partie de cette symbiose… offrant souvent une double interprétation possible. Les circonvolutions du lichen suggèrent en nous l’imagerie médicale des méandres du cerveau. L’artiste joue en permanence sur ces associations subliminales, ces ambiguïtés choisies et ces résonances biologiques. Elle poursuit son “exploration fonctionnelle” et l’on ressent instinctivement qu’il y est question de nous, en tant qu’être humain, autant que du lichen. Tout s’abstrait et tout se réalise en fonction de la distance que notre regard prend avec les choses… une zone proche de l’imaginaire.
Par l’introduction des cercles, l’artiste fait le lien avec son travail antérieur intitulé “Métamorphose du déploiement où nul ne sait ce que peut le corps”. Elle renvoie ainsi à l’archétype cellulaire et cette membrane qui rapproche encore les organismes vivants. Le lichen s’efface progressivement à son profit. Étudier le thalle du lichen s'apparente à une démarche d’ordre histologique tant le dessin apparaît tissulaire et morphologique. L’artiste nous amène à voir l’invisible et même au-delà de nos propres attentes. Elle transforme notre regard en microscope d’une anatomie toujours plus profonde… jusqu’à pénétrer le réseau des fascias comme celui de la couche algale. Les touches de jaune, réveillent encore le souvenir de la Xanthoria parietina, tandis que la résine et le silicone transparents apportent un volume organique inattendu et palpable à la surface du papier comme celle du lichen sur un mur. L'œuvre devient vivante… elle prend corps dans l’espace.
Le retour à la couleur contribue aussi au passage du dessin vers la risographie, qui est en quelque sorte l’aboutissement de ce travail en résidence. Une première pour l’artiste qui doit réinterpréter l’image, anticiper et apprivoiser une nouvelle technique d’impression. Elle doit imaginer la possibilité d’une toute autre métamorphose. Les strates de couleurs de la risographie qui se superposent comme les couches du lichen ou celles de la peau… apparaissent alors comme une parfaite coïncidence. La photographie entre aussi en jeu dans ce travail de bascule et de déplacement des éléments en dehors de leur contexte habituel.
L’artiste nous oblige à changer de perspective et déjoue une nouvelle fois les prédictions en associant ou en fusionnant des morceaux d’images issues des différents règnes du vivant. Elle rapproche, avec une grande cohérence et vraisemblance, ce que la nature et l’homme ont séparé. Elle propose ainsi une troisième voie… surnaturelle et surhumaine… une symbiose bien plus globale, en faisant l’invention d’un corps universel…
APONIA
67, rue Saint Pierre
43150 Le Monastier sur Gazeille
06 20 49 36 90
Contact : aponia@wanadoo.fr
www.aponia.fr
Vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h (en Période d'exposition)
Sur RDV pour les groupes scolaires également les autres jours
L'église Saint Jean et le 67, rue Saint Pierre sont accessibles
aux personnes à mobilité réduite
Entrée libre et gratuite