Aux dires des responsables du centre d’art Aponia, l’ensemble “Coins de vues, zones et aperçus divers” par Alain Bouaziz, se présente à la fois comme une présentation d’oeuvres récentes et autonomes et comme une installation in situ. Ce qui en soi n’est pas contradictoire pour qui fréquente les lieux d’art contemporain. On observe toutefois que divers axes de conception paraissent traverser et mettre chaque oeuvre exposée en tension avec l’apparente cohérence de l’ensemble.
Cette présentation, qui correspond à la 27ème exposition d’Aponia en 5 ans, s’ouvre donc sur des études et des séries de travaux différents qui occupent Alain Bouaziz depuis plusieurs années et qu’il n’a jusqu’ici qu’incidemment montrés par morceaux. L’occasion est donc donnée de voir le paradigme d’un travail en cours dans sa diversité, voire ses paradoxes Le titre de l’exposition évoque allusivement trois préoccupations majeures de son travail, toutes relatives au temps même de peindre. Il faut entendre que ce temps est pour l’artiste un fait en soi complexe, autant composé d’avancées et de pauses que de retraits et d’oublis. Il est également tantôt un moment de production purement matérielle et tantôt un moment de contact sensible avec la plasticité du travail
d’imagination. La première de ces préoccupations tient donc à l’idée d’une image pérenne de la peinture.
Dans le but de questionner sans cesse ce thème, l’artiste a prévu avec ironie plusieurs modes d’accrochages de ses oeuvres en fixant au hasard sur leur support de multiples crochets, jusqu’à huit dans certains cas. La seconde préoccupation vise un travail d’inspiration que rien n’oblige à situer hors de l’art mais qui s’en mêle et s’en emmêle tout de même. (Il a ses têtes). La troisième concerne le temps de la production d’oeuvres à la fois suffisamment élaborées et argumentées pour donner le sentiment d’un “service visuel artistique” placé à la hauteur d’une recherche esthétique maîtrisée. On observe en effet que son travail a non seulement une forte puissance conceptuelle, mais qu’il produit en plus un effet décorateur assumé.
Mais il faut revenir sur la méfiance d’Alain Bouaziz pour la facilité de peindre ou dessiner. Car peut-être est-ce là un des traits qui le caractérise et qui, pour cette raison, devient essentiel. Alain Bouaziz se méfie du style, des oeuvres fondées sur “la joie de peindre”. Peindre est à ses yeux une occupation préoccupante, intellectuelle : “Que veut réellement faire un homme qui se met à peindre ?” Il se garde des progrès en art, plaide pour “L’amour des commencements” ; il est réservé sur le principe des sujets “plus intéressants” que d’autres… On remarque des univers assez disparates dans cette exposition, sans parler des formats… Il faut prendre le temps d’observer, répète-t-il, prendre le temps de s'intéresser à l’imperceptible, au discret, au maigre, à l’aperçu. Et d’abord, pour un artiste, regarder ce qu’il fait, ce qu’il bricole empiriquement, observer “le travail en train” et “l’oeuvre en cours”, adopter un “regard en pente et de biais”, pour reprendre une perspective conceptuelle revendiquée par le peintre Gilles Aillaud. Il faut s’inspirer de ces profils qui font sens du désir même de travailler en questionnant sans cesse. Parmi les artistes qu’il apprécie, Camille Pissarro, Bram van Velde, André Masson, Vélasquez, Yves Klein, Henry Moore, Geneviève Asse, Barnett Newman, Picasso… Alain Bouaziz aime aussi cette réponse de Cézanne à Emile Bernard “Je vous dois la vérité en peinture et je vous la dirai”.
Outre la mobilisation régulière de techniques visuelles clairement engagées et l’emploi régulier de matériaux à fortes connotations immatérielles, on remarque des dénominateurs communs à chaque oeuvre. L’instabilité, ou plutôt l’évanescence de formats et de surfaces qu’aucun cadre ne semble réellement borner, des dépôts de couleurs régulièrement flottants ou laissés à l’état de traces, les effets d’un dessin toujours un peu à demi-mot, comme s’il était placé entre repentir apparent et effet de mémoire reviennent à l’occasion de jeux de plans, de transparences organisées par superpositions de zones ou d’aperçus opportuns. Tous ces “oublis” de composer ne font-ils pas songer à ce qu’Étienne Souriau appelle la période du “c’est intéressant” et qui marque la participation singulière de l’artiste “aux mouvements d’avancement de l’oeuvre à faire” ?
“Coins de vues, zones et aperçus divers” est une présentation qui réunit ponctuellement des oeuvres d’une série intitulée “Barbaries” parce qu’elles sont de fausses images photographiques, tout autant que d’invraisemblables compositions picturales. Elle rassemble également des pièces graphiques faites de collages en verre, papier, noir et blanc, sous le titre générique de “Strates”, des créations hybrides dénommées “Coins de vues”, accrochées aux murs comme des insectes ; des peintures seules (et de grands formats) qui ne correspondent qu’à leur titre.
Alain Bouaziz crée des oeuvres qu’il sait être étranges. On lui a d'ailleurs bizarrement fait grief des difficultés de les encadrer. Il n’en a cure. L’art des commencements alimente et définit l’avancement de sa recherche. C’est beaucoup.
Albert Zuello, 2008
APONIA
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Vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h (en Période d'exposition)
Sur RDV pour les groupes scolaires également les autres jours
L'église Saint Jean et le 67, rue Saint Pierre sont accessibles
aux personnes à mobilité réduite
Entrée libre et gratuite