Griffonner et gribouiller sont, comme voyager et déambuler, les deux faces à la fois ludique et tactique d’une même activité imaginative où la narrativité est planante. Alain Barret, dont le travail est ici en question, en est un représentant quasi ontologique et éthique. Avant tout parce que l’art du gribouillage n’est jamais une activité solitaire. C’est une pratique détachée mais pas isolée. Aussi volontaire qu’un évitement qu’on veut réfuter à chaque sujet, Alain Barret, depuis toujours, griffonne en ce sens ses dessins comme un rêvasseur impénitent survole ses paysages imaginaires, en déconstruisant lui-même les instruments de direction communs. Le fait de griffonner renvoie subjectivement à une culture de l’image apparaissante. On griffonne à l’abri des regards, dans l’intimité d’une image intime, sur une page d’annuaire, une table de bistro, en attendant que le temps s’écoule, l’esprit absent, un peu mécaniquement.
Les poètes surréalistes ont été d’exquis griffonneurs. D’où l’idée métaphorique de renvoyer l’art d’Alain Barret à la passion des déambulations esthétiques. Suivons sa production artistique pour tenter de remonter à ses sources. La première difficulté est d’ordre technique. Nous sommes à terre, dès le premier coup de crayon,l’artiste semble, à notre insu, avoir déjà décollé. Les images qu’il montre en nombre sont de toutes tailles, mais toutes de même facture : buissonnière. Sait-il seulement dessiner ? Songe t-il à faire des croquis ou concevoir des compositions ? Que cherche t-il à illustrer, voire à reproduire ?
Chaque oeuvre est d’allure « vite fait » ; quand une image pointe, elle paraît plus insouciante qu’hésitante. Placée en situation d’extra-temporalité, l’appréciation esthétique devient à la lettre presque insaisissable. Chaque occasion est comme ces instants fugaces que mêlent à la fois création et regard dans un mouvement d’envie simultanément personnelle et humaine. On l’a dit, le griffonnage est une stratégie d’évitement fine et complice. Il n’est plus ici question de technique mais de narration. La mémoire, celle des formes en particulier, vient en contrepoint de ces productions artistiques apparemment sans modèle.
Alain Barret le sait et le montre quand il mêle arbitrairement et volontairement en désordre des sujets empruntés à la bande dessinée et au cinéma “grand” ou “d’animation”, qu’il entremêle des expressions graphiques de Cy Twombly, d’Andy Warhol, de Jean Dubuffet, de Max Ernst, d’Arthur Penk ou de Jean-Michel Basquiat, qu’il mélange des procédés issus du graphisme et des technologies multimédias dont il est, dans une vie parallèle, un acteur privilégié. Il sait qu’on ne griffonne pas un croquis, on esquisse une vision, on n’ébauche pas un sujet, on aborde et on cherche à faire partager un aperçu.
Alain Barret dit d’ailleurs de son art qu’il tient davantage de la reproduction que de l’invention ex-nihilo, et qu’il aime bien l’art du “retravaillé”.
Chacun l’aura compris, l’art d’Alain Barret est au coeur de la production contemporaine. Quelqu’un a présenté Alain Barret en disant (mais dans quel sens ?) qu’il est un « crayonneux ». J’entends qu’il y a effectivement quelque chose de noué dans l’art de crayonner d’Alain Barret, comme il y a quelque chose de noueux dans la réception “négatif/positif” du dessin (ou le disegno), tout ensemble projet et solution, séparation et retrouvailles. Quel est ce “e” entre “dessein” et” dessin” qui les sépare et les distingue, reflet d’une presque réelle onomatopée du “euh” censé marquer une hésitation et qui recèle suffisamment de mystères pour qu’effectivement, la griffe du geste graphe et griffonne simultanément. Qu’elle puisse renvoyer un réservoir d’histoires, une tentative d’exorcisme, ou la métonymie visuelle d’une autofiction.
Autre perception qui n’apparaît pas au premier abord, ce “ne” qui résonne comme une réfutation, un questionnement impulsif et sans cesse insatisfait, rebelle, qui comme dans l’art de la grotesque joue du bizarre autant que de la bouffonnerie et condamne ironiquement,à l’aide des formes pittoresques et parfois kitch, la fixité esthétisante d’une création plus apparente que réelle. L’art d’Alain Barret est aussi un art du “GRRRR”. La création d’Alain Barret est aussi un processus. Elle est conceptuelle. Les formes qu’il donne au gribouillage, ou au “grabouillage” sont autant de recherches aussi sensibles. qu’artistiquement approfondies qu’il abreuve en multipliant ses focales. Qu’on en juge : non seulement il ne se satisfait pas de produire en quantité des oeuvres fugaces ou apparemment éphémères sous forme de petits dessins, directs, facilement encadrables, mais il les reprend après qu’ils ont été agrandis photographiquement, et qu’il a pu redessiner dessus, alors que pointe avec véhémence un art à la fois mural, graffitiste et affichiste hors de leurs univers d’origines. Mieux, dans la tradition d’un Bonnard n’hésitant pas à retoucher ses anciens tableaux alors qu’ils sont exposés sur des cimaises, Alain Barret s’octroie le droit de redéfinir ses griffonnages pour toucher une plasticité capable de les animer encore.
La déambulation évoquée en introduction apparaît infinie, rien ne saurait l’arrêter, sinon l’extinction de son envie. Alain Barret serait-il une sorte d’avionneur, un de ces artistes insatiables d’art au point d’en explorer sans cesse les manifestations à coups de crayon ? En multipliant les occasions de redéfinir les rôles du geste dessinant, il rappelle qu’un crayonné mesure subrepticement l’espace qui sépare le projet de l’esquisse. Points de vue qui, plus justement, font que les dessins toujours figuratifs qu’Alain Barret livre en toute liberté sont autant de feintes pour faire .
Alain Bouaziz, 2008
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