Un dessin à double entrée, croquis et projet, simultanément scientifique et sensible, mais qu’une sorte de machinerie visuelle résume à une vision presque purement esthétique.
Un tableau immobile dont les gestes d’exécution visibles floutent le sens et transforment le thème en « préoccupation d’écriture », comme chez les impressionnistes (Albert Aurier).
Une peinture qui semble se déplier en même temps que son auteur délie son sujet au moyen d’une combinaison savante de plans et de coupes, comme dans le Nu descendant l’escalier de Marcel Duchamp. Transformée par la succession des vues qui se chevauchent, l’image s’apparente à une sorte de plan-séquence.
Une vidéo qui devrait filer sa narration, mais que des ralentis rendent précaire comme un film court, et qui laisse percevoir à son montage que l’artiste joue avec le temps à travers ses rythmes (Bill Viola).
Une installation présentée de manière qu’on puisse la voir autant comme une sculpture que comme une scénographie. Les éléments occupant des places virtuelles, transforment le spectateur en matière vivante de l’oeuvre…on pense à Claude Lévèque.
Des paysages photographiés de Jean Marc Bustamante ou d’Andréas Gurski dont la picturalité trahissant le médium gène l’ordre du regard présupposé par leurs auteurs.
Une sculpture qui change, imperceptiblement.
Une image, si petite, qu’à sa taille, on voit l’horizon qui pointe.
Des oeuvres qui bougent…
Le centre d’art Aponia prépare pour 2005 une exposition dont le thème annoncé est «l’Instable»*. Interdisplinaire, comme toujours, l’exposition réunira des oeuvres qui, d’une certaine façon, disfonctionnent et perturbent. Des oeuvres instables au sens du mot lui-même, autrement dit en mouvement.
En chimie, le terme «instable» s’applique à l’inconstance de la matière composée, et s’oppose à la matière inerte. Pour la physique, l’instable a partie liée avec une perte d’équilibre, il entretient un commerce subtil avec les questions de structures, de masse, de dynamisme, de cinétisme; on parle de processus nonlinéaires, d’arythmie générale ou partielle, d’instabilité lumineuse, d’état stationnaire pour désigner au fond, une sorte de risque mesuré ou une forme temporaire. D’autres domaines intéressent le sens de l’instabilité et demande qu’on la pense par son contraire : la stabilité. Ainsi l’idée de force ou celle de caractère quand ils expriment un comportement individuel ou particulier. L’instable serait tout à la fois, le résultat d’un mouvement intime, une puissance capable de briser un risque de fixation, une tentation d’éternité.
L’oeuvre instable cherche à être agissante, et, pour user d’une terminologie plus psychologique que descriptive, sa manière d’être présente suscite un «inquiétant trouble». On l’a suggéré, ces oeuvres sont irrégulières, imprévisibles, et pour dire poétiquement, flottantes. Leurs auteurs entretiennent avec l’idée de diversité des commerces affectifs, métaphoriques, techniques. Elles ne paraissent pas finies. Qu’à bien pu vouloir le peintre, le sculpteur ou le vidéaste dont les productions montrent ou dépendent d’«un bougé»?
Quel effet plastique peut bien satisfaire un artiste qui assemble des temps de regards sans lien apparent, au risque de produire plusieurs oeuvres en une, ou, qui plus est, des oeuvres étrangères les unes par rapport aux autres dans un même ensemble? On trouvera grâce de présupposer dans l’instable plusieurs personnalités en conflits, où quelque versatilité stylistique. Peut-être n’y a-t’il qu’un désordre caractéristique de la vie.
Qu’une oeuvre artistique soit instable suppose surtout autre chose qu’un déséquilibre. L’instabilité peut servir à exprimer plusieurs sortes d’équilibres possibles. Tous les «bougés ne se ressemblent pas : une oeuvre qu’aucun mouvement n’agite, même allusivement, est peut être provisoire (Jean Tinguely), les flottements des compositions abstraites de Kandinsky ont peut-être la valeur de figurations symboliques. Ce que suggère une «malfaçon» est peut-être l’objet indéfini, justement, d’une stratégie, comme un tracé de croquis qu’on conserve en l’état sur l’oeuvre, comme un recouvrement partiel de plusieurs teintes, ou comme un cadrage qui fait plus sens d’un coup d’oeil que d’un système patiemment mis en place. C’est ainsi en esthétique que le terme instable semble évoquer le mieux cette sorte d’insatisfaction expressive dont on fait un moteur pour l’oeuvre finale et qui inversement à son apparence présume une maîtrise. En agissant sur la perception à travers sa durée ou son accomplissement, parfois sous couvert d’une rupture, de turbulences, d’un désordre convenu, l’artiste engage dans son travail des critères d’évaluations qui donnent, au propre comme au figuré à l’instabilité, une profondeur particulière, l’équivalent d’un impromptu vivifiant des oeuvres.
Par présomption, un artiste qui revendique un droit d’instabilité dans l’oeuvre semble réfuter qu’une esthétique dure ou laisse transparaître une certaine stérilité, voir le respect d’un ordre convenu. Par poésie, les oeuvres d’art instables ont une composition fragile, déroutante, leur beauté semble précaire. À toute fin utile, une oeuvre est instable quand «ça bouge». On saura gré au Centre d’art Aponia de vouloir coller métaphoriquement à la vitalité de l’expérience artistique par un thème d’exposition qui est en soi une sorte de manifeste.
Alain Bouaziz 2005
APONIA
67, rue Saint Pierre
43150 Le Monastier sur Gazeille
06 20 49 36 90
Contact : aponia@wanadoo.fr
www.aponia.fr
Vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h (en Période d'exposition)
Sur RDV pour les groupes scolaires également les autres jours
L'église Saint Jean et le 67, rue Saint Pierre sont accessibles
aux personnes à mobilité réduite
Entrée libre et gratuite