Le fait d’être artiste peut-il s’expliquer et suffire en étant multiple? Etre tout à la fois et sans ordre pré-établi caméléon, hybride, composite et “décomposite”, chef d’orchestre ou instrumentiste (cuivre, corde et percussion), metteur en scène et en image, en son, en lumière, comédien, ou ceci et cela, être ouvert et entrouvert, bref être capable de monter des histoires à “deux balles” ou d’inventer des tableaux extraordinaires, d’attirer l’attention sur une sorte d’aperçu d’ordinaire invisible comme un film court dont le synopsis tient d’un détail, juste un moment, un passage, une brève traversée, un arrêt subreptice, une pause légère, un semblant d’être là, ironiquement, histoire de raconter la fugacité d’un rêve…
Bref être un homme curieux, curieusement inventif, curieusement créatif, curieux en tout et de rien…ou presque…
J’ai dit un être curieux, pétri d’humanité parce que drôlement vivant. Je dis aussi un être au fond préoccupé, taraudé par l’histoire, les images qu’elle suscite ou qui en restent, qui quelquefois à rebours la font exister, contes où comptes imaginaires et fantasmés, figures limites de réalités dans leurs braises en sommeil, mais aussi hors champs mémoriels…
Le Centre d’art contemporain Aponia accueille Olivier Cans, dessinateur et plasticien.
Avant d’être multiple, Olivier Cans a été danseur, mime, comédien, clown, musicien(percussionniste), photographe, passant… il est toujours un peu tout cela, parce qu’à l’entendre, il n’est dans son art personnel jamais loin des ses rêves et de leurs expressions.
Jadis en perspectives, ces richesses qu’aujourd’hui il parvient à rassembler dans ses manifestations d’artiste plasticien sont des sujets qu’il souhaite réinvestir…
Imaginer Olivier Cans presque uniquement artiste peintre et plasticien comme je m’efforce moi-même de l’imaginer aujourd’hui, l’imaginer dans le Centre d’art contemporain Aponia où il prépare une exposition de ses dernières recherches plastiques, l’imaginer s’approprier les murs et les couvrir de ses dessins selon ses codes… ou
plutôt les découvrir, comme on s’extirpe d’un rêve ou d’une nuit agitée pour, au fond, mieux y réincarner ses visions, avec le public en ligne de mire… et des perspectives de rencontres à la Lewis Carroll, dialogues oniriques, souvent mêlés de cocasserie et d’humour, attestant d’invraisemblables réalités…
Je l’imagine aussi pragmatique, conscient qu’il est ce qu’on appelle théoriquement un plasticien, faisant siennes des surfaces pratiques que constituent ces murs et les repeindre allusivement avec ses images aussi figuratives que visionnaires et volontairement crayonnées que truellées de couleurs intenses ou sculptées de matières parfois
presque abstraites. Parce qu’aux perceptions d’auteur correspondent presque inévitablement en contrepoint des pratiques exclusivement formelles…
Dans son atelier, il me montre des éléments de son oeuvre photographique, dessinée, sculptée ou fait de collages, les travaux en cours qui s’accumulent, tantôt sur papier, tantôt sur support rigide, quelquefois, sur “tout support », particulièrement quand il s’agit d’assemblages et de renversement du sens de matériaux et d’objets préalablement détournés.
Art brut ou rêve immédiat, clin d’oeil au Surréalisme ou relectures des tactiques du Pop art revisitant l’art figuratif, créativité débridée ou in process ? Olivier Cans reconnaît travailler par séries, changer de sujet pendant son travail, expérimenter des thèmes autant que des procédés d’expressions parallèles, souvent feindre d’ignorer la reconnaissance des époques qui l’ont précédé. Il défend le droit de laisser filer l’oeuvre en cours, de divaguer entre les styles, de voyager aussi virtuellement que métaphoriquement.
Scénariser sa pratique à venir, peindre et dessiner en même temps, sans opposition. Sur le mur ou appuyées contre, sur des étagères et à même le sol, ses oeuvres s’étalent, évoquant ici un film, là une bande dessinée, rappelant un artiste particulièrement apprécié ou le souvenir d’une oeuvre à ses yeux forte. « Exposées » à même le sol, les couvertures repeintes d’une bibliothèque de livres devenus livres objets se déclinent en autant de relectures…
Sa palette d’expression, en même temps qu’il la fait osciller entre moyens et techniques, montre qu’il s’invite lui-même aux suggestions de l’instant, au bonheur des envies simples. Du coup, mieux qu’implicitement, le multiple, chez lui et semble t-il à chaque occasion, se recompose et se redéploie, s’invite. Les dessins dont les noirs et blancs se combinent mêlent peinture et mine de graphite ; la matière même du support, remonte parfois subtilement comme pour reconditionner le temps du travail ; il y a des marques directes et des empreintes, toute une palette d’inscriptions et d’envahissements des espaces visuels disponibles, d’opportunités d’actions créatrices, de gisements du sujet et de ses expressions.
Insistons. Olivier Cans est peintre et dessinateur figuratif de tout, enfin presque, vu sa mobilité et ses inspirations techniques. Sa formation aux Beaux arts de Paris dans les ateliers dirigés d’abord par Claude Viallat, ensuite par Annette Messager, sa proximité avec l’art conceptuel, des expériences d’artiste inoubliables à Toronto (Canada) où il a vécu sont pour lui autant d’expérimentations de distances critiques et d’autonomies créatives. En même temps porté par l’esprit de découverte, il veut volontairement ignorer l’étendue de ses champs d’expressions visuelles, tel un voyageur et un rêveur conscient.
Cy Twombly autant que Roland Topor, Jean Michel Basquiat et Arthur Rimbaud, Antonin Artaud dessinateur et la bande dessinée comme argument pour scénariser ses sources d’inspiration, l’univers du cirque comme celui du cinéma font « décoller » Olivier Cans. En même temps que nous échangeons, comme si sa pensée le guidait en contrechamp, sa conscience, à l’évidence aiguë du travail pictural et un vocabulaire pragmatique retiennent mon attention. Un tableau lui parle comme un objet réel, autant extérieurement qu’intérieurement. Transversalement, sa culture artistique atteste d’échanges qui ne se voilent pas d’être aussi formels qu’autobiographiques, conduisant, toutes choses égales, à percevoir parfois ses oeuvres comme des allégories intimes. Aussi simplement qu’allusivement, il dit travailler évidemment à savoir aussi où il en est. Cela ressort en permanence. Tant par sa forme que par ses thèmes et ses techniques, son travail est d’une cohérence qui frappe. Il y veille avec conviction et savoir faire, sans céder sur la créativité artistique.
Il me montre en particulier une série de dessins linéaires qu’il souhaite exposer sur le thème du tableau sur son chevalet. Les clins d’oeil à René Magritte et Roland Topor sont manifestes autant pour le propos que pour la manière de transformer le thème en imagier, autant pour l’allusion à Michel Foucault devisant sur le tableau intitulé « Ceci n’est pas une pipe » (dont l’auteur est aussi Magritte) qu’à celle du dessin de presse et de la BD (encore), dont les relations acrobatiques avec l’actualité sont connues.
D’emblée leur facture sommaire et spontanée accroche le regard. Ils ont l’allure de croquis autant que de «premiers jets ». Présumant un humour débridé de leur auteur, j’ai en second lieu le sentiment que ces dessins pourraient être des illustrations libres qui auraient été commandées par une revue sur l’Art…cependant que tout un appareil critique paraît en place, les sujets ne sont pas indépendants comme des dessins isolés à même le centre de chaque feuille mais scénarisés et mis en espaces sur la feuille, qui du coup se transforme en salle de théâtre fictif…
Dans des environnements indéfinissables comme dans un collage libre, Olivier Cans a disposé des troncs d’arbres et des boites transparentes dont il a fait des socles, des cactus aux allures de pantins et des personnages aux silhouettes avachies, comme dégonflées ou de matière apparemment fondue (ces créatures ont davantage une
apparence anthropomorphique que des visages humains.) On trouve aussi des toiles et des couvertures apparemment là pour les recouvrir et les dissimuler sommairement et partiellement, des cordes reliant certains des sujets déjà cités. On remarque aussi des embouts apparemment en bois plantés comme des flèches dans les formes précédemment anthropomorphiques. On songe à l’entre-deux d’une cave onirique et d’un grenier, d’une fête foraine et d’un carnaval où, au milieu des accumulations et des rapprochements, chaque composition suggère des mondes intérieurs…
Voilà qu’Olivier Cans m’indique une nouvelle série de grands dessins inspirés par un monde marin totalement fictif : des créatures à première vue translucides ont une allure animale vaguement microscopique. Hors échelle, avec leurs contours tout en ligne claire et leurs constitutions composées d’hypothétiques fonctions cellulaires, ces
apparitions marines auxquelles on pensait se raccrocher par analogie avec des poissons ou des sortes de crustacés fossiles remontés de profondeurs supposées deviennent des documents fantasmatiques. Tout flotte, les créatures, l’impression d’une histoire enfouie, la pratique supposée descriptive du rendu et de l’oeuvre… Dans son immense océan de virtualités, sur le territoire de la feuille blanche saturée d’énigmes et sur tous ces objets en définitive non identifiés, l’artiste entend se jouer de tous les débordements.
Olivier Cans ambitionne t-il d’unifier ses chemins de rêves dans une forme délibérée d’art ? La création conceptuelle dont il s’amuse ironiquement à dérouter les avatars est à l’évidence prometteuse artistiquement.
Les voies subtilement allégoriques qu’emprunte en ce sens sa maîtrise cocasse des techniques et des procédés d’évocations plastiques incite à parier avec lui sur son engagement créatif dont la spontanéité n’est, je le redis, qu’une apparence trompeuse.
Alain Bouaziz, janvier 2015
APONIA
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